Baptiste Fillon

(rien à voir avec François)

Le site de Baptiste Fillon, auteur du roman Après l'équateur, publié chez Gallimard, dans la collection Blanche.

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Au Groupe Ouest

Une semaine (de travail) incroyable au sein du Groupe Ouest, sur la côte des Légendes. Un lieu hors du commun.

Journal d’un scaphandrier ivre qui va accoucher de trois ananas durant la pandémie de Covid

Un texte de Custódio Rosa, traduit par mes soins, et initialement publié sur le blog que nous tenons ensemble.

Crédits photo : areta ekarafi on Visual Hunt / CC BY-NC-ND

Crédits photo : areta ekarafi on Visual Hunt / CC BY-NC-ND

Chirurgie, religion, bêtise et petits instants de grâce… Le journal d’un type qui a eu la bonne idée d’avoir une appendicite pendant l’épidémie de coronavirus, au Brésil.

. Pilules d'hôpital - 1

L'infirmière vient me faire une prise de sang.

- Je suis du labo.

Vous pensez : laboratoire, lieu technique, d'analyse et de science.

- Vous n'allumez pas le téléviseur, non ? Vous faites bien. Ils ne passent que des choses qui tentent d’ébranler notre foi. Et plus encore maintenant, avec ce machin qu'ils ont inventé juste pour nous faire peur.

En deux minutes, elle m’a fait une prise de sang, a prononcé le nom de Jésus onze fois, et est repartie.

Au laboratoire.

. Pilules d'hôpital - 2

Dopé, le patient a zappé cette pilule.

. Pilules d'hôpital - 3

Aux urgences, un médecin et trois ou quatre infirmières. Ils parlent de l'aide de 600 réaux accordée pendant la quarantaine. Le médecin étonné :

- Seulement pour ceux qui gagnent jusqu'à 28 000 par an. Les gars, qui survit avec 28 000 par an?

Silence des infirmières.

. Pilules d'hôpital - 4

Toujours le médecin et les infirmières. Quarantaine.

L'une des infirmières :

- Je ne sais pas ce qui est pire. Restez à la maison, comment ? Mon mari dit que le monde doit continuer à fonctionner, et qu’il y en a bien qui vont survivre. Il travaille en indépendant.

J'attends le docteur. Il dit :

- Je ne sais pas s'il a tort.

Un docteur.

. Pilules de l'hôpital - 5

Sur le chemin du retour, un chauffeur Uber :

- Hier, trois petits vieux que je connais sont morts. Aucun du corona. Je suis sûr qu’ils vont les mettre dans les statistiques.

Je reste silencieux, puis je réponds.

- J'ai des amis en Italie, en France. Croyez-moi, c'est grave et ça va empirer.

Il me regarde dans le rétroviseur. Son regard me dit clairement: "t’es dingue".

. Pilules d'hôpital - 6

Un autre chauffeur Uber :

- J’ai travaillé dans les prothèses et le matériel chirurgical. Le médecin reçoit une commission pour chaque pièce, tout est surfacturé. Il y en avait un qui prenait 500 000 par mois, rien qu’avec mon laboratoire. Personne n’osait le défier, parce que s’il ne pouvait pas vous encadrer, il vous faisait virer.

. Pilules d'hôpital - 7

Le jour J du débarquement en Normandie, beaucoup sont morts pour libérer le monde, tandis que des gamins jouaient au ballon sur un terrain vague au Brésil.

Je viens de sortir d'une intervention chirurgicale. Je parle à l'infirmière, originaire du Sergipe, sérieuse mais sympathique, qui m'emmène dans ma chambre :

- Vous aller avoir au moins deux mois difficiles.

- C'est tout ?

Je trouve les prévisions basses, mais je ne dis rien.

Elle ajoute :

- Ce sera difficile pour ceux qui vont survivre.

- Avez-vous des amies contaminées?

- Plusieurs. Certaines en soins intensifs, d'autres ont été testées positif et sont en quarantaine. Beaucoup de médecins aussi. L'hôpital embauche dans le cadre d’un plan d’urgence.

Je pense aux nombreuses personnes encore aliénées qui n’ont pas compris ce qui est en train de se passer.

Le jour J de l'invasion de la Normandie, beaucoup sont morts pour libérer le monde, tandis que des gamins jouaient au ballon sur un terrain vague au Brésil.

Nous n'avons pas le droit d'être ces gamins.

. Pilules d'hôpital - 8

Le premier jour où vous vous rendez dans votre chambre, on vous autorise à porter votre T-shirt à l’effigie de Guernica et un short, après tout l'élégance compte.

Le deuxième, on ouvre votre tablier à l'arrière, vous en faites un charmant kimono.

Le troisième, tout le monde voit votre cul et vous vous en foutez.

. Pilules d'hôpital - 9

Le confinement et l’urgence causée par mon appendice m’ont saisi durant la meilleure phase physique de ma vie.

15% de masse graisseuse, la "tablette de chocolat" si socialement idolâtrée bien en place, comptant rester visible, même s’il ne s’agit pas d’un objectif ni d’un but en soi. Après tout, je ne dis ne pas non à une friandise après le déjeuner, ni à une bière ou du vin, au moins deux fois par mois.

Mais n'étant pas grand ni tout à fait crétin, pas assez fortuné pour m’offrir des Ferrari ou des restaurants, n’exerçant pas une profession aventureuse telle que surfeur ou parachutiste, et sachant que l'intelligence n'est pas exactement un élément de valeur aujourd'hui, un homme de 52 ans a besoin d'une attrait sexy pour rester sur le marché.

C’est avec un sentiment de propriétaire que je vois dans le miroir la possibilité que ma tablette de chocolat soit gommée, même si j’essaye de ne pas y accorder trop d’importance.

- "Si ça te dit, je pars deux semaines et je te récupère, cher abdomen."

Puis un coronavirus fait son apparition, un confinement, et une appendicite.

Une semaine, vous montez 500 marches pour vous échauffer avant la salle de sport, la suivante vous allez par le monde comme un scaphandrier ivre qui va accoucher de trois ananas.

Le ventre énorme, rond et déformé, avec plusieurs marques d'incision qui laisseront des cicatrices.

Mon abdomen ...

Rien n'est à nous. Ni la Ferrari ni les tablettes de chocolat.

Nous sommes juste un tas de molécules qu'on a refourguées.

. Pilules d'hôpital - 10

Alors que je me trouvais à bord d’un Uber pour la deuxième fois, souffrant déjà d’une appendicite aiguë, je me suis allongé sur le siège arrière de la voiture en levant les yeux.

Un après-midi glorieux, comme chaque jour depuis la quarantaine. Au-dessus, dans le ciel sans nuages, un minuscule vautour tournoyait.

Bien sûr, j'ai pensé à un dessin animé. Je lui ai dit :

- Je suis toujours vivant, le jeune vautour maladroit devient une charogne.

Dans le sud de São Paulo, cela fait trois semaines qu'il fait beau. Des maritacas matinales sillonnent le quartier. Le barrage de Guarapiranga doit être plein de hérons, canards et poulets d'Angola. Mes plantes dans l'arrière-cour poussent, les fougères ressemblent aux bimbos musclées de la salle de sport.

Ici à Jabaquara, où se trouve l'hôpital, le bruit des avions résonne quatre ou cinq fois par jour. La moyenne était d'un avion toutes les deux minutes.

J'écoute les oiseaux, qui auparavant fuyaient le quartier à cause des turbines, circulant dans la région.

La nature reste exubérante.

Un air plus pur, un ciel avec plus d'étoiles, des animaux plus paisibles, c'est presque un témoignage de mépris envers l'espèce humaine.

La nature ne dépend pas de nous. La nature n'a pas besoin de nous. Je dirais même que nous faisons déjà des heures supplémentaires.

Elle a envoyé un message évident :

- Vous n'êtes qu'une espèce comme une autre. Comme des milliers qui ont déjà existé et se sont répandues sur le globe. Vous êtes arrogants, ignorants, destructeurs et limités. Je vous élimine avec un virus créé en un claquement de doigt. Comprenez votre lieu de vie, respectez votre maison, révisez vos concepts.

Il est certain que nous n'apprendrons pas.

Nous sommes les vautours.

Et le vautour maladroit devient charogne.

. Pilules d'hôpital - 11

Trump et les États-Unis ont siphonné le marché mondial des équipements de lutte contre les coronavirus. Ils sont allés en Chine, ont fait l’offre la plus élevée, nettoyé le stock (y compris la commande à destination du Brésil, qui se retrouve le bec dans l’eau).

Mais ils ont payé aussi très cher pour le prendre à d'autres pays, y compris l'Allemagne.

Ils ont retiré le stock du monde.

C'était le gouvernement américain.

Pour le distribuer aux hôpitaux, pas vrai ?

Non.

Il existe six ou sept grandes sociétés de fournitures médicales aux États-Unis. Ils possèdent des camions et un système de distribution.

Le gouvernement va transmettre tout ce matériel confisqué au monde (l'Allemagne a taxé cela de piraterie moderne) à ces entreprises qui vont le VENDRE aux hôpitaux.

Je vais répéter : VENDRE.

Aux enchères, comme eBay.

L’hôpital qui offre le plus emporte la mise.

Et puis il adresse la note aux patients.

Les hôpitaux qui n'ont pas de fric n'ont pas de masque.

Le patient qui n'a pas de fric ne respire pas.

C'est du pur capitalisme, sans censure ni hypocrisie.

L'État injecte des millions et cède un marché monopolisé à des partenaires privés, de bonne grâce.

Il prend tout au monde entier et fait d’un atout vital un profit astronomique pour les géants du secteur, sans rien en retour.

Dans la pilule 10, j'ai dit que nous n'apprendrions pas.

Cela n'a pas pris trois minutes.

Ci-dessous le lien vers la conférence de presse du gouvernement américain expliquant tout cela comme si de rien n’était :

. Pilules d'hôpital - 12

A l'étage où je me trouve, toutes les chambres et les lits sont occupés.

C'est un secteur sans Covid.

On peut déambuler dans les couloirs, mais comme j'ai vécu deux admissions en une semaine, j'ai ordre de rester dans ma chambre. Je suis isolé dans l'isolement, très cher.

Je n'ai pu sortir que sur des brancards ou des chaises roulantes, pour les examens.

Je connais déjà un peu la structure de l'hôpital et je constate que l'itinéraire change chaque jour.

En raison de Covid, des secteurs sont restreints, des ascenseurs et des couloirs sont réservés à des publics spécifiques. Les itinéraires internes sont modifiés.

Ma chambre disposait d’un moniteur avant mon arrivée. On est déjà en train de le préparer pour le transférer aux soins intensifs.

Ce matin, la médecin, âgée de vingt-sept ans au plus, est venue me rendre visite. Ses collègues d’autres secteurs sont en train d’être recrutés.

J'ai demandé à en savoir plus sur la situation :

- Ce secteur du deuxième étage est désormais le seul de l'hôpital non utilisé pour le Covid.

- Alors ... nous sommes le village d'Astérix.

Je ne pense pas qu'elle ait compris.

Ces dessinateurs sont fous.

. Pilules d'hôpital - 13

J’ai passé une partie de la journée connecté à une tige munie de roues. Des poches de sérum physiologique et de médicaments s’écoulaient lentement.

Comme je suis un équipement d'un certain âge, il est toujours acceptable d'être surveillé de façon analogique par des câbles et des fils. Un jour, il y aura du sérum physiologique Wi-Fi.

Je dois marcher dans la chambre, cela fait partie du processus de récupération. Il est parfois nécessaire de transporter mon partenaire à roues dans la pièce.

Aller et venir avec des virevoltes, comme une danse.

Et comme toute danse, il y a les partenaires avec qui cela fonctionne bien et celles qui gênent.

Je n'ai pas eu de chance, j'ai une roue coincée, elle n’avance pas bien en ligne droite, et tourne mal. Je ne m'attendais pas à un tango sensuel, mais je n’avais pas non plus besoin que ce soit une course d’obstacles.

L'alternative est d’en faire abstraction.

Téléphone portable, lecture, réflexion en tous genres pendant que je pousse automatiquement ma méchante partenaire.

Aujourd'hui, une infirmière est entrée dans la pièce. Elle m'a vu aller aux toilettes avec ma nouvelle petite amie.

- Où allez-vous, monsieur Custódio ?

- Aux toilettes.

- Et pourquoi y aller accompagné ?

Là, j'ai réalisé que j’avais passé ma matinée à pousser la tige, dépourvue de médicament. J'étais libre, déconnecté.

- Je ne m’étais pas rendu compte que j’étais célibataire.

Elle rit et montre les poches de médicament sur le plateau.

- Plus maintenant.

. Pilules d'hôpital - 14

Chaque fois qu'on mesure mon rythme cardiaque, je préviens : il est faible. Au repos et en position couchée, il atteint 52, 48 par minute. Il est important d'avoir cette référence en tête.
Je pense que le nom technique est "bradycardie".

Chaque fois que j'en parle, les infirmières demandent "Vous étiez athlète?".
Parfois, je dis que je suis juste avare, que j'économise des battements pour la fin.

À l'hôpital, cette scène se produit au moins trois fois par jour. Il vient toujours une infirmière différente, selon le planning.

Aujourd'hui, il en est venue une que je ne connaissais pas encore. Évangéliste, comme presque toutes. Je m'en suis rendu compte. Elle a pris mon rythme cardiaque et m'a posé la question :

- Bon. 53 battements. Vous étiez athlète ?

- Oui

- Quelle bénédiction. Tout comme Bolsonaro.

- ...

- Monsieur Custódio, pourquoi êtes-vous monté à 96 ?

. Pilules d'hôpital - 15

Aujourd'hui, c'est mon dernier jour d'hospitalisation.
Ils ont décidé qu'à la fin de la journée, je pouvais rentrer chez moi.
Apparemment, je suis déjà capable de produire de l'eau par moi-même et de servir leur déjeuner aux plantes.

Ou quelque chose dans le genre.

Ce matin, j'ai trouvé le couloir un peu bruyant. Conversations et voix.
J'ai demandé à l'infirmière la raison de ce vacarme :

- Vos amis veulent quitter l'hôpital.

Le fait est que pratiquement deux couloirs de mon étage n'accueillent toujours pas de Covid. Le reste de l'hôpital se prépare à prendre en charge des malades dans tous les secteurs. Progressivement, ils renvoient les patients chez eux, agrandissent le front.
Il s'avère que beaucoup ne peuvent pas sortir. Il ont des examens, des opérations ou sont en convalescence.
La nouvelle selon laquelle nous sommes cernés a semé la panique.
De nombreux patients ont refusé de se soumettre à des examens fondamentaux, craignant que l'air, les murs et les personnes ne soient contaminés.
Comme l'a dit Dona Joélia, une dame du Maranhão qui fait le ménage chaque matin, "ces gaz qui émanent de Satan".

Dona Joélia est drôle, toujours accompagnée d'un partenaire timide qui n'entre pas dans les chambres. Elles paportent, se disputent, rient. On dirait un duo d'une comédie américaine, le genre où la police recrute deux types sans aucune référence pour en faire des agents infiltrés. L'autre jour, elle a fait un tour sur elle-même en franchissant la porte. Elle m'a regardé et m'a dit :

- J'ai failli tomber. Le gant s'est pris dans la porte.

Elle n'a qu'une fille, qui fait radiologie et a dû interrompre son stage à cause des "gaz".

- Quel âge avez-vous ?

- Cinquante ans.

- Je n'ai pas mes lunettes, Dona Joélia. Je ne peux pas dire si vous faites moins.

- Pas de lunettes, hein ? Mais tu as l'oeil, je le sais.

De tous ceux qui travaillent ici, ce sont peut-être les moins protégés qui partent d'ici à la nuit tombée, à bord de bus bondés, à destination d'un quartier lointain.

- Je rentre chez moi aujourd'hui, Dona Joélia. Pensez-vous que mes plantes sont encore vivantes ?

- Avec la grâce du Seigneur, elles ne souffrent pas de ces gaz.

Voilà.

Après cinq jours sans cuisiner ni prendre mes médicaments tout seul, je retrouve l'autonomie des adultes dans le monde réel.

Je pense que je sais déjà comment produire de l'eau par moi-même et servir leur déjeuner aux plantes.

Ou quelque chose dans le genre.

Ceux qui passent pour des cons

Avouons-le, certains écrivains, du moins parmi les plus visibles, sont en train de passer pour de sacrés cons (je sais, cela laisse l’immense majorité des gens indifférents). A l’instar de nos politiques (là, plus de gens s’en rendent compte).

Cela n’est pas un hasard. Pour la plupart, ces gens sont issus de milieux sociaux-culturels identiques et conçoivent l’existence sur le même modèle : une course de « premiers de cordée », à laquelle ils ont eu la chance de partir quelques mètres en avance. Ils forment un milieu dont ils maîtrisent les codes, et qui n’a d’autre but que sa propre conservation. En dépit de sa médiocrité.

Même déconnexion à l’égard de la réalité du pays, même conservatisme, plus ou moins bon teint, même impéritie. De la belle au bois dormant au baroudeur en bois. De la « gôche » à la « droâte ».

Tenons-nous le pour dit : le monde ressortira peut-être bouleversé de ce que nous vivons, mais ces gens ne changeront pas. Ce sont nos « élites », qui ont promu et promeuvent une indigence assumée, dans la conduite des affaires, l’”art” et la “pensée” Nous en payons le prix depuis des décennies et plus que jamais à l’heure qu’il est.

Nous réalisons que l’humanité est mortelle, en dépit du wifi, du bio et de l’air conditionné

Nous n’avons jamais été modernes, répétait Bruno Latour, lorsqu’il était mon professeur, voici plus d’une dizaine d’années. Nous en faisons l’amère expérience depuis plusieurs semaines et pour une durée encore indéterminée. Peut-être très longue. Nous réalisons que l’humanité est mortelle, en dépit du wifi, du bio et de l’air conditionné. L’économie s’effondre. Le cadre de la Défense redécouvre qu’il ne sera jamais émancipé de son biotope, jamais maître et possesseur de la nature. Et qu’il est largement moins utile à la société qu’une caissière ou un éboueur.

Le cadre de la Défense redécouvre qu’il ne sera jamais émancipé de son biotope, jamais maître et possesseur de la nature. Et qu’il est moins utile à la société qu’une caissière ou un éboueur.

Mais ne nous voilons pas la face, cela ne durera pas. La majorité ds gens ne rêve que d’une chose : s’enfiler des tunnels de réunions et retourner chez Ikea le samedi après-midi. Dans un laps de temps aussi court, nous sommes incapables de changer de modèle de civilisation. Ne serait-ce que pour des raisons logistiques.

Notre bon vieux capitalisme néo-libéral s’offre juste une petite sieste.

Et puis, malgré les faillites, les drames humaines, les morts, les esprits ne sont pas prêts. Rien ou presque n’a été instauré pour cela. Notre bon vieux capitalisme néo-libéral s’offre juste une petite sieste.

Il y a des gens dont c’est la tâche de préparer la voie, avant les experts, les politiques, les ingénieurs. Et ce sont les artistes. Ce n’est pas à la mode d’écrire cela, mais j’espère que les artistes comprendront la responsabilité qui est la leur. Je parle d’imaginaire, de talent, d’exploration, de souffle. Difficile de se l’avouer dans une époque menée par le tableur Excel, la courbe des ventes, le nombrilisme et le militantisme à la petite semaine, mais une société, quelle qu’elle soit, trouve sa consistance dans l’imaginaire, les récits et les mythes bâtis par les artistes.

Même s’il l’ignore et s’en contrefout, le monde a encore besoin des artistes pour se réinventer. L’art est le socle de la civilisation.

En attendant, ceux qui se trouvent en têtes de gondole les font passer pour de sacrés cons.

Dans "Roland"

1999. Fanatique d’Agassi, un ado fugue pour assister à la finale Agassi-Medvedev, l’une des plus incroyables de l’histoire du tournoi. Le reste est dans la nouvelle, intitulée “Looking for André”.

Couverture Roland magazine
Nouvelle Looking for Agassi

Les bons sentiments de Bolsonaro

Bolsonaro sera le nouveau Président du Brésil. Malgré son usage éhonté du mensonge, de la violence verbale, son mépris de l'intelligence, son indécence historique, et un amateurisme dont on commence à entrevoir l'ampleur.

D'autres l'ont fait avant lui, même ceux qu'on disait modérés. Mais aucun n'en a joué de façon aussi systématique que lui.

Voilà le Brésil face à lui-même. Ses démons, plus ou moins vieux.

Le programme de Bolsonaro, c'est le retour au stade pré-anal, voire foetal, une enfance de l'être où l'on frappe la première personne qui vous contrarie, où l'on chasse celui ou celle qui est différent de vous, où l'on insulte celui ou celle qui prononce un mot que vous comprenez seulement au bout de 3 secondes.

C'est la quête du confort absolu.

Bolsonaro a su parfaitement exploiter la situation catastrophique du Brésil et de la politique brésilienne, mais il a surtout su proposer de bons sentiments. La protection, le câlinage. Du moins pour son électorat.

Il faut le suivre sur Twitter, observer son compte Instagram, pour réaliser qu'il se pose en papa. Celui qui vous défendra, même si vous avez tort, même s'il a tort, pourvu que vous pensiez comme lui.

Il est le signe d'une époque qui sacrifie tout à son confort immédiat, même son futur. Un temps qui a peur, et qui refuse de dépasser ses appréhensions, par bêtise et lâcheté. C'est de la politique infantile et magique, à l'instar de tous les populismes. Un peu comme si un type vous disait de danser sur une autoroute en vous jurant qu'il ne vous arrivera rien, parce que lui l'a décidé ainsi.

Bolsonaro est le chaman du pauvre. Un barbare des bons sentiments, qui dispense de tout, sauf d'une jouissance piteuse, abrutissante et basse. Ce que certains appellent “le bonheur”.

NB : cet article a initialement été publié sur le blog Cecinestpasuncliché, que je tiens avec Custódio Rosa.

Les jardins à la française et le ciel

J'aime désormais les jardins à la française. Je vieillis, peut-être. Auparavant, je n'y trouvais qu'une tentative vaine de faire des droites et des figures géométriques avec la nature. Une vacance du jardinier, et tout se délitait. C'était prétentieux, impermanent, futile. A l'image de la Cours de Louis XIV. A ce compte-là, autant se contenter d'un jardin sec, de sable et de caillou, pensais-je.

Je reviens de Chantilly. Et j'ai aimé ses jardins à la française, même s'ils sont, à mon sens, moins beaux que ceux de Versailles. Je crois que les impressions versaillaises ont sédimenté et que j'ai découvert à Chantilly un des secrets des jardins "à la" Le Nôtre, par une magnifique journée d'été.

Ces jardins vont avec le ciel, ils dessinent dedans. Ils sont une perspective de son éternel. Au contraire des jardins à l'anglaise, qui trouvent leur fin sur terre, contrefaisant la campagne du week-end, un romantisme de pacotille, à la Marie-Antoinette.

Les jardins à la française sont baroques, tentant un équilibre qui ne sera jamais l'égal de celui du cosmos. Le Nôtre était géomètre, et un mystique. Son art est celui de l'ordre et de l'humilité. Car ses jardins ne sont rien sans le ciel. Oui, ils sont une figure à deux bandes, s'appuyant contre Dieu ou l'illusion qui usurpe son nom, auxquels ils soumettent un essai de permanence, artificiel, hérissé de buissons à cônes, de parterres anguleux, et d'autres impossibles. 

Nicolas Gomez Davila

Est réactionnaire tout homme qui n’est pas disposé à acheter sa victoire à n’importe quel prix.

Quelle fête que la prose de ce vieil Indien bruni au soleil de l’Antiquité, qui taille des distiques comme on aiguise des flèches, au milieu de sa bibliothèque immense, dans une maison centenaire d’un vieux quartier de Bogota. Nicolas Gomez Davila fait un Borges laconique, pas baisant, moins enchanté de son savoir que le grand conteur aveugle. Cela tombe net, indubitable, comme une balle crevant un baudruche. 

Dans les époques aristocratiques, ce qui a de la valeur n’a pas de prix. Dans les époques démocratiques, ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur.

J'ai lu Le réactionnaire authentique de Gomez Davila ne même temps que la correspondance de Flaubert. Les deux bonhommes ont horreur de la faiblesse de masse, faisant pencher les têtes dans le sens du vent. L'un et l'autre sont les tenants d'un même inactuel, fait d'intelligence et d'honnêteté. Ils sont la figure de l'artiste idéal, attentif et distant, acerbe et mystique, anticonformiste parfois, libre toujours. 

Les deux ailes de l’intelligence sont l’érudition et l’amour.

Dans une époque élevant la cupidité en système, prônant la passion cynique du transitoire, l’exploitation commerciale de la bêtise, l'élévation de la tartuferie en métaphysique, la lecture de Gomez Davila est un plaisir piquant, où germent les délices d’une discipline aristocratique de l’esprit.

Vivre avec lucidité une vie silencieuse, discrète, parmi des livres intelligents, et aimé de quelques êtres chers.

L’intelligence et l'art sont désormais une lutte, davantage contre leurs faux-semblants et leurs imitations industrielles que leurs ennemis frontaux.  Il s'agit de ne pas s'enivrer d'impuissance, même s'il y aurait de quoi. A l'instar de Gomez Davila, il faudrait convertir sa résignation en enchantement. Certes, celui qui n’épuise pas sa vie à assouvir sa cupidité semble voué au mépris. Mais ceux qui s'adonnent à ce jeu ne l'ont pas choisi. On le leur a imposé. Les réactionnaires authentiques, au moins, sont les victimes consentantes d’une malédiction enchantée qu’ils se sont eux-mêmes lancée.  

Genève, capitale de la planète du dimanche soir

Le dimanche soir, les rues de Genève ressemblent au célèbre tableau d'Hopper. Elles le dupliquent. 

Mais sans clients ni lumière aux vitrines.

Des réclames callaissées, montrent des enfants riches, blancs, et fiers de l'être / Des officines de banque privée / Des avocats /Des experts comptables / Genève tient la santé des villes d'argent et de bienfaisance, saine, close, fermée, toute percluse d'espaces réservés, de cercles, de clubs.

Sur la place du Bourg-de-Four, auprès de la cathédrale, deux cafés restent ouverts pour trois couples de clients / Les installations de lumières artistiques ajoutent quelque chose de lugubre et de travaillé dans la ville éteinte tôt, debout dès six heures le lendemain /Les rives du lac sont un parc d'attraction ennuyeux, fermé pour ne pas avoir su amuser. 

Ici, personne ne s'ennuie. 

Avec l'équipe de France des écrivains, à Francfort

Défaite 5-2, avec les honneurs, lors de notre match retour contre les écrivains allemands. Il y avait les hymnes, les équipements officiels. Cela n'a pas suffi à nous faire gagner. mais un groupe est né.  

Merci à la Fédération allemande de football, à l'Institut Goethe de Paris et à l'Association des Ecrivains Sportifs pour l'organisation de cet événement. 

L'histoire de l'équipe de France des écrivains se poursuit le 20 janvier prochain, à 15 heures, au stade Jules Deschaseaux, contre mes anciennes idoles du HAC, dans le cadre du Festival "Le goût des autres". Retour au bercail ! 

Equipe de france.jpg

Rêves arctiques, Barry Lopez

Dernière page.

J'ai lu le livre de Barry Lopez dans l'édition d'Albin Michel, éditée en 1987. Gallmeister l'a réédité en 2014. Si la traduction est dans le veine des autres ouvrages de la maison, le rendu doit être de très bonne facture.

Venise n'est pas une parodie_ 2/2

Venise ne parle pas italien. C’est une langue mâchée, en zézaiements, chuintements, entrecoupés de rires. Le Vénitien est cauteleux, ricanant, tenu dans l’enflure mélodique d’une bonne blague s’apprêtant à claquer, un amusement aux dépends d’un ladre trop simple. Tous les génies sont simplets auprès d’un Vénitien à Venise, connaissant par cœur sa ville, marchant tête baissé dans ses venelles, ce labyrinthe tatoué dans l’âme, où ils se jettent avec l’empressement de vivre. Pas de bus, des gondoles hors de prix, Venise est piétonne, et assimile vite le marcheur.

J’attendais une vieille ville de grognasses à permanentes, sentant la violette, labourée par les hordes de touristes à casquettes laides, vieux beaux, et femmes à tête de chat, massacrées par la chirurgie esthétique. Faunes de la Mostra, du Carnaval et de la Biennale coalisées. Non, Venise n’est pas seulement une bonbonnière pour riches n’allant nulle part, se pavanant lors des festivals, pour bas bleus et hordes de touristes déambulant par meutes, zombies se repaissant de photos. Venezialand existe pourtant, autour de Saint Marc, du Rialto ou sur la route menant à l’Academia.

Venise enkyste les fantasmes. Les Américains sont victimes du syndrome Hemingway, qui vous fait remuer une œuvre fantastique que vous n’écrirez jamais, avec une défiance hautaine pour ce qui vous entoure, en espérant que la beuverie du soir donne de l’inspiration. Les Français préfèrent l’uniforme d’artiste, facile à porter : béret, besace en cuir, et l’air absorbé d’un saint ermite en extase, parlant fort, toisant les compatriotes avec irritation. Mais les plus savoureux restent les amoureux, les pieds brisés par les mocassins vernis, le soir, affolés par une marche sans fin dans Venise, en talons hauts et robes à lamés.

Ils se trompent, je crois, en arrachant à Venise des fantasmes et des parodies qui n’ont pas lieu d’être et qui refusent l’épaisseur de cette ville qui fut un empire. Une cité encore populeuse, railleuse, superbe. Il faut n’en rien exiger, accepter de se perdre, notamment près de l’Arsenal, autour de la Viale Garibaldi, où les familles se croisent et se mêlent, le soir, les jardins publics commandités par Napoléon Bonaparte, le campo Bandiera e Moro, où les gamins jouent au foot, dessinent par terre et se chamaillent, entre l’église San Giovanni in Bragora où Vivaldi fut baptisé, une colonne dédiée aux frères Bandiera et leur compagnon Moro, patriotes italiens, fusillés par les Autrichiens en 1844, et la rue des morts, où l’on assassinait dans le noir, du temps des doges. Il faut s’enfoncer dans Castello, Dorsoduro et Canareggio, où l’agitation se dissipe. Je logeais à Castello, où Vivaldi est né, a vécu une grande partie de sa vie. Passant dans ses ruelles, au bord des canaux étroits, on imagine ses Quatre saisons jouée par une cité en pierre d’Istrie, marbre, calcédoine, décrépite et verdie, sans forêt, étang, prés ni cascade.

On découvre une Detroit médiévale, une ville industrielle d’autrefois, de briques rouges, aux espaces dépeuplés, loin de l’image rance de rêves déjà faits pour soi par des aristocrates et des grands bourgeois trempant des gâteaux secs dans de l’eau chaude, où Dante a pris un tableau de son Enfer, bouillant de poix, flambant de feux, projection de l’arsenal de Venise.

Ainsi de pont en pont, parlant d’autres choses
que s’abstient de chanter ma Comédie,
nous arrivions en haut de l’arche, quand
nous arrêta la vue d’un autre puits
de Male-Bauges, aux pleurs inutiles :
et je le vis étonnement obscur.
Comme, en hiver, chez les gens de Venise,
dans l’arsenal, la poix tenance bout
pour calfater les vaisseaux délabrés.
— L'Enfer, chant XXI, Dante

Venise n'est pas une parodie_1/2

Arrivé de nuit. Le vaporetto croise sur une eau visqueuse et trop infusée, dans un étroit chenal, sans ville au large.  La petite embarcation, presque vide, longe San Michele, l’île des morts, jusqu’à Murano, entre des bornes à trois bras, saillant des eaux, comme des insectes géants, noyés tête la première, pattes au ciel. Il casse le sillage des navires croisés, dans de brusques et courts soubresauts, donnant l’impression de dérapages. C’est long. Il contourne un grand môle, hérissé d’arbres, de grues et de murs en briques, annoncé par un parc. Venise, sa bouche, des quais éclairés par de souffreteux candélabres, halos cernés par l’air épais. Le campanile de Saint-Marc se dresse à droite, la pointe de la douane s’avance à gauche, surmontée du dôme de la basilique di Santa Maria della Salute, où sommeille le tableau du Tintoret, Les noces de Cana, en pleine restauration.

Venise est un palais d'un tenant, qui sent la boue, comme une ville sous-marine montée au jour. Soclée dans la vase et le limon, elle se prétend féminine, demi-mondaine lestée de cailloux et marbrures. Elle se polit de la finesse des esprits mercantiles devenus fins au long des âges. La nuit mauve de l'Adriatique tout proche cerne ses rues et ses embarcadères d'une lueur mousseuse, dense autour de ses lumières. On file dans l’ombre glauque de ses corridors, entre les magasins et les restaurants fermant tôt, claquemurés sous peu, dont s’extraient les couples, jouant l’amour comme leur enseignent les chansons de variété.

La place Saint Marc fait un épais bloc de vide, tendu de guirlandes de lueurs alignées. Elle forme un L cassé, conçu en deux ordres contradictoires, l’un menant à la lagune, l’autre, plus long, plongeant dans la ville.

Les marins n’aiment pas Venise, bijou encrassé, envasé dans les eaux trop profondes, grasses peut-être trop resté dans les plissures des bancs de sable et de quais verdis. Venise sent l’étal peu frais, plus gluante que l’humidité insidieuse des ports, sans le vent nerveux qui purge les stagnations.  

De l’art de rue avant l’heure, dans les églises ouvertes à tous, dans les écoles, les palais, tendus de Véronèse, Bellini, Carpaccio, Giorgione, du Titien et du Tintoret. Au musée Correr, devant une tête de satyre, j’ai le sentiment de mieux saisir pourquoi, des siècles durant, des artistes se figuraient créer du neuf et du beau en projetant une perfection utopique, par les canaux d’une harmonie chiffrée, conjurée en courbes de beauté. J’y ai vu aussi l’adolescent à l’épine, cher au vieil écrivain de Mann, dans La Mort à Venise.

Les ciseaux n’avaient jamais touché sa splendide chevelure dont les boucles, comme celles du tireur d’épine, coulaient sur le front, les oreilles et plus bas encore sur la nuque.
— La mort à Venise, Thomas Mann

Occidentale, byzantine, fidèle, incroyante, impie, Venise est une monstruosité, comme toutes les constructions uniques, extraordinaires, à l’image de son peuple, syncrétisme d’indifférence morale, de mercantilisme absolu, d’utilitarisme assumé, de passion effrénée du juridique, de la patrie, contre l’Empire ottoman, Rome, la France, l’Espagne, Milan, Gênes, Florence, et pour l’art, peinture, sculpture, architecture, musique, et poésie. Passion de l’esprit, du temps où l’on expliquait Euclide dans les églises étouffés de dorures et de marbre. Gueux et patriciens se massaient dans les hospices, écouter les enfants abandonnés interpréter les compositions de maîtres de violon comme Vivaldi, au Pio Ospedale della Pietà, ou bien aux Incurables, aux Mendiants.

Si je devais chercher un mot pour remplacer « musique », je ne pourrais penser qu’à Venise.
— Nietzche

Une des plus grandes villes de monde, la plus grande peut-être, l’une des plus brillantes, avec ses 175 000 habitants, au XVIème siècle, et une richesse d’or, de sequins, de ducats, de poivre, d’ambre, de musc, de fourrure, de cuir repoussé, où l’on s’amusait aux exécutions capitales, entre les colonnes du palais des Doges, gothique et fleuri, où l’on se tuait à coup de poings et de cannes sur les ponts, entre habitants des sestiere de Canareggio et de Dorsoduro.

C’était une vaste ville, un puissant empire, en état de siège permanent traitant pour sa survie, avec tous les tyrans, toutes les morales et tous les Dieux. Venise déployait l’artifice, l’inexistant magnifié, inerte tourné en métaphysique, et cela au nom des superbes, des réputations, appliquées aux familles, aux confréries, à la République. Comme une échappée, déversement de frustration en réponse à la défiance du culte de la personnalité, et des velléités dynastiques. Pour les Vénitiens, pas de plus grand péché que l’espoir de faire souche, l’avidité d’éternel. Un doge souhaitant voir son fils puis son petit-fils prendre les rênes de la Sérénissime méritait la mort. 

Aix en Provence ou le prestige utile

Une ville où l’on entend souvent parler d’argent. A défaut, on le montre, avec cette élégance vieillie des bourgeoisies enracinées ou cette hauteur des jeunes gens arrivés grâce aux parents.

Raide, Aix pourrait se montrer indolente, dans ses rues italiennes, aux murs de pierre jaunes ouvragés par les pluies, sculptés au nom du prestige, de coquillages, grimaces de Pan, Hercule cariatides, soutenant les façades d’hôtels particuliers transformés en bureaux et en fondations, fermés par de monumentales portes en bois couleur de sang mûr.

Aix fait semblant de partager avec les villes d’art le penchant de l’inutilité. Le prestige est cette tare sublime unissant le bourgeois et l’artiste. L’ostentation du XVIIIe siècle a vécu ; elle est désormais ornement superflue, la beauté décatie de ce jour.

La beauté d’une ville est le produit du hasard, ou de la rencontre d’une infinité de déterminismes. Pour Aix, cela a bien tourné. Mais au nom de quel mystère de raffinement ou de snobisme n'a-t-on pas rasé les fontaines sans raison d’être, les balcons phalliques, ni abattu les bâtisses mordorées d’une teinte d’automne caniculaire, pour bâtir des demeures plus modernes, plus confortables, à l’époque où les services de conservation ne sévissaient pas ?

Mon cartable connecté

Un petit texte pour une belle initiative en faveur des enfants hospitalisés, Mon cartable connecté

Mon cartable était un parpaing, où je casais tous les livres de la journée. C’étaient les grands débuts du collège, et le savoir pesait un peu trop... Plus j’ai grandi, et plus il s’est allégé. Moche, carré, il s’est effilé, devenu plus maniable, moins sujet de honte, presque. J’ai pu y mettre ce que j’aimais, des livres, les miens, ceux que j’aimais vraiment. Quand je l’ouvrais, il exhalait cette odeur chaude de la mine de crayon et de la poussière, restes de goûter, qui imprégnait le tissu, le fonçait. Il y avait aussi le parfum du papier, de tous les grains et les textures, grossier comme de la peau de lézard, épaisse et douce comme du métal taillé en feuille.

Aujourd’hui, après chaque balade, chaque voyage, j’ai l’impression d’ouvrir mon cartable à chaque fois que j’ouvre un sac. Il s’en dégage la même chaleur un peu moite, de plastique enduit et chaud, où macèrent l’encre, les crayons et les stylos. Celle du travail et de tous les possibles, la vague réminiscence des premiers instants écoliers, où j’ai compris que l’on pouvait créer des mondes entiers avec du papier et un stylo.
— moncartableconnecte.fr

Brexit : j'aurais voulu être triste et surpris

Pour être franc, je ne saisis pas encore l’ensemble des tenants et aboutissants de ce scrutin, même si j’ai lu beaucoup d’articles sur le web et ailleurs (un peu trop vite, comme tout le monde). Mais je sais deux choses : que le rêve européen ne finit pas de dépérir, et que mes amis espagnols qui vivent en Grande-Bretagne ont peur, à la perspective d’un Royaume-Uni sous visa et permis de travail.

L’UE ne fait  pas rêver. Sa structure économique fonctionne, et c’est à peu près son seul succès. Cela ne suffit pas, surtout si on y additionne une croissance peu florissante, l’agrandissement des inégalités sociales, l’effondrement des pensions, les hésitations régaliennes et militaires de l'UE ou de ses principaux membres, son incapacité à s'exprimer d'une voix, et j’en passe.

On dépeint la croissance, même modérée, comme une sorte de cercle vertueux, dont les fruits seront pour tous. Voilà longtemps que nous avons compris qu’il n’en était rien. La violence et le désespoir qui frappent notre continent l'illustrent trop bien. Déjà au début des années 1990, près de chez moi, fleurissaient les graffitis annonçant « Ca va péter ». Et c'était avant les fermetures d'usines ou de chantiers navals.

Depuis, la situation a continué de se dégrader. Un glissement que rien ni aucune volonté n’enraye. Parce que l’UE est un circuit, impalpable, gérés par des gens d’accord entre eux, et satisfaits de l’être, qui président aux affaires d’une manière qui se voudrait neutre - à l’image des hommes et femmes politiques actuels. Et la neutralité revient à gouverner dans le sens des plus forts, des mieux armés. En témoignent, entre autres, le sort réservé aux lanceurs d’alerte, ou de récentes tergiversations pour le moins curieuses, notamment en termes de santé publique. Les idéaux fondateurs d’unité, de paix, de justice, et de concorde n’ont pas été reniés, mais ils ont disparu sous les affaires courantes, la comptabilité. Et cela tue l’UE.

A l’image de cette époque, l’UE a évacué la culture, le fabuleux patrimoine du continent, qu’elle se contente de perfuser à coups de subventions et de fêtes, quand ses artisans peinent à vivre.  Elle a chassé l’enrichissement de soi, l’éducation, au profit de dispositions et de machines ternes, mal comprises, qui régulent et dérégulent de façon lointaine, désincarnée, sous la pression des lobbies.

Plus généralement, l’UE symbolise la faillite actuelle du politique et de la démocratie du XXIème siècle. Un seul exemple : le Président de la Comission européenne mène la politique touchant la vie de centaines de millions d’Européens, sans être élu directement par eux.

En 2005, déjà, d’aucuns prétendaient que le NON au traité européen amènerait l’UE à se remettre en cause, se recentrer vers plus de justice économique et sociale. La machine a prouvé son inertie.  

Ce que l'écrasante majorité des populations réclame, je crois, ce ne sont pas les vieilles lunes des révolutions ou la bêtise des populismes, c’est un capitalisme en ordre de marche, qui soit à l’abri d'intérêts ou de groupes particuliers, et assure une juste rétribution aux personnes qui travaillent, comme à celles qui ont travaillé ou qui ne peuvent plus le faire. Non pas l’égalité, mais la justice. L’UE  manque à cet appel.

Le Brexit fera du mal, aux Britanniques comme aux étrangers qui vivent au Royaume-Uni. Je pense à mes amis espagnols, qui travaillent à Londres, à la perspective de l’obtention d’un permis de travail, d’un éventuel ralentissement économique, d’une baisse du niveau de vie, de la montée d’une incertitude systémique et du populisme (car cette bestiole est insatiable, le Brexit ne lui suffira pas). La transition sera difficile, et pénible. J’espère que les Britanniques sauront ménager une voie moyenne, qui ne compromette pas le bien général.  

La décision est pénible, mais il ne faut pas oublier qu’elle émane du vote, de la souveraineté populaire, une notion que même certains amoureux transis de la démocratie peinent à comprendre quand elle va à l’encontre de leur analyse.

Et pour répondre au message d’un ami, envoyé tôt ce matin : à mon sens, le rêve européen n’est pas encore mort. Enfin, je crois. 

L'accent parisien

L’accent parisien est un acquiescement qui se cherche ; une quête sophistiquée qui veut taire sa peine. Ce n’est plus le faubourien, traînard et gouailleur. Il lui arrive de se compliquer de variantes plus mélodieuses, plus aiguës et pincées. Dans sa déclinaison la plus extrême, il promet l’esprit. Il marque une pause dans les discours alambiqués, qui sentent la peine. Quelques icônes l’ont mis à l’honneur, avec cette délicatesse précieuse qui fait la beauté discrète, usée, des Parisiennes, ou des jeunes provinciales qui aspirent à devenir de la capitale.

Dans cette ville où l’on peut se ruiner en se nourrissant de sandwichs, il s’agit de se distinguer. Tous les iconoclasmes sont bons, toutes les trouvailles, les mots d’esprit. Cet accent offre un vernis de profondeur, une trace de méditation.  

Ce n’est pas parce que les pigeons sont bagués qu’ils ne peuvent pas voler !
— Une femme à une amie, à propos d’un homme marié

Il est ce mélange de pudibonderie précieuse et d’exhibitionnisme contrôlé. Il se veut aussi pilier de ces codes non écrits, signant une appartenance, dont Balzac se fait l’exégète. L’adopter c’est être brillant, inspiré, lanceur de tendances, éclaireur de ploucs. Il pare, transforme les serins en paon.

Pasaia, Pays Basque

Les abords d’une cité dortoir faufilée entre et sur des mornes, dressant des immeubles rouges noircis, sans attrait, laissent place à une petite ville neuve et laide. Entre les inscriptions demandant l’amnistie de membres de l’ETA, les passants marchent vite, sous le soleil. Le vent de la mer, que l’on devine toute proche, passe une tiédeur latente. 

Au loin, se voient les bateaux d’un port de commerce, et parviennent des odeurs de casse et de cambouis, venus d’un parc à ferraille et d’un parking qui bouchent la vue. 

On se demande ce que l’on fait là, puis on s’avance. Les maisons se ramassent, vieillissent. Mais rien ne fait regretter d’être ici. Surprise sombre et grotesque que l’on rejoint après une courte traversée en caboteur. Le village est pauvre, il sent l’odeur âcre et crayeuse de la fiente de pigeons, la lessive et la friture.

Les armoiries au fronton des vieux hôtels particuliers ont fondu, et sur la grand-place se jetant à l’eau, les maisons tiennent encore à l’aide de solives non dégrossies.

Il y a les vieux salons de coiffure, les bars sans façade, où se retrouvent les gens du quartier, pour parler fort, et les chats, les murs qui crient basque, et un musée Victor Hugo, passé par là.  

La ville se casse en deux, un fjord apparaît, menant à la mer. Un porte-conteneur disparaît à l’horizon, entre deux flancs encaissés. A se demander comment il trouve suffisamment de tirant d’eau pour ne pas s’échouer.

Chaque jour, le sillage des cargos secoue les barques amarrées le long de ce village basque patiné de suint et d'âge, aux allures de Frise et de Norvège

Les victimes du 13 novembre et leur famille méritent nos excuses

Les résultats du premier tour des élections régionales sont l'événement de trop.

Suite à l'horreur du 13 novembre, les hommages furent vibrants.

A défaut de réponses à nos questions, nous fûmes écrasés sous les innombrables analyses, très souvent d’une indigence confondante, une terrifiante nullité morale, et une incapacité générale à la compassion (ne se limitant pas aux fleurs, bougies et câlins gratuits).

Nous étions au bord de la guerre mondiale, paraît-il, puis les journaux télévisés ont recommencé à nous servir Miss France

Nous voilà rassurés. Le pays était retombé sur ses pieds.

Un nouveau signe, s’il en était besoin, de notre pauvreté d'âme, de notre peur du deuil, et de la tristesse. Et je n'évoque pas seulement le saccage du mémorial de la place de la République. Signe évident de notre amnésie. 

Le lendemain des attentats, alors que les corps se trouvaient encore empilés au Bataclan, d’aucuns se répandaient déjà en analyses géopolitiques, sur les soi-disants causes profondes de la tuerie. Comme si les abrutis à bombes et kalachnikovs avaient entendu quelque chose à la situation au Moyen-Orient ou en Afrique. On faisait partager son sentiment sur le monde arabe, le Moyen-Orient, la crainte de récupération politique, quand on ne s’improvisait pas théologiens. Sans compter la compassion "tartufesque" de grands groupes refusant de payer leurs impôts en France, les imbéciles complotistes, antisémites, anti-musulmans, et les charognards de l’autopromotion, toujours bien attentionnés.

Une énième confirmation que les intellectuels de jadis ont laissé place à une myriade d’intelligents, dont le but est de parler plus fort que leurs pareils. De là ce défilé de finasseries satisfaites et de snobismes morbides, sous-entendant que les morts parisiens ne valaient pas les milliers de victimes syriennes, palestiniennes, et nigérianes, tombées depuis des mois, des années. Fort à parier que si ces gens avaient été syriens, palestiniens, ou nigérians, ils auraient interdit à une mère ayant perdu son fils dans une attaque terroriste de se lamenter, car la situation était bien pire en France, ce vendredi 13-là.

J’eus honte pour eux, comme pour les empêtrés dans la polémique du drapeau tricolore. Dont beaucoup ignoraient que le bleu et le rouge référent à Paris, et le blanc au souvenir de l’ancien régime ; ils oubliaient également que des gens, bien loin de l’extrême-droite, avaient péri pour ses couleurs.

Ce fut la curée à la sottise. Et quand on se réveilla, éreintés de tant d’inepties, on se répandit sur les terroristes, afin de comprendre leur nullité, et de s’en repaître. Ce fut nier qu’il y avait peu à comprendre de ces idiots qui ignoraient tout ce qui n’était pas eux, le contentement de leurs appétits médiocres, drogue, miteuses sorties en boîte de nuit, fornication avec des ersatz de bimbos de téléréalité à l’âme d’assistante sociale, et trafics de bas-étage. Ils périrent comme des nullités en quête de célébrité, confits dans le fantasme puéril de toute-puissance infantile, et la frustration des lâches. Il s’agissait de criminels sans envergure, pareils à ces clochards collaborateurs qui envoyèrent les résistants au four pour une plaquette de chocolat, lors de la Seconde Guerre Mondiale.

On décida aussi de se payer les politiques. Il faut dire qu’ils le méritaient : leur attitude inepte à l’Assemblée, les dysfonctionnements ayant mené aux massacres du 13 novembre, et leur politique internationale d’un cynisme coupable. Il est bien connu que lorsque l’élite d’un pays n’a guère d’idées pour le redresser, elle ne sait se tourner que vers l’argent, même s’il s’agit de celui de régimes qui flagellent les blogueurs, réduisent les femmes à la minorité perpétuelle, et dont certains ressortissants ont, semble-t-il, financé le terrorisme

Le procès des politiques est à faire, mais je crois qu’il aurait fallu attendre que le sang coagule. Par respect, pour les victimes, leur famille, et notre propre peur.

D’autres ont lancé des injonctions à s’étourdir de nouveau, dans les bars, les salles de concert et les boîtes de nuit de la capitale. Comme si hurler et se soûler faisait office de combat et de résistance.

Suite à l’assaut de Saint-Denis et la révélation de la menace pesant sur la Défense, refit surface un fatalisme sidérant, déjà présent quelques semaines avant les attentats du 13 novembre, et tout autre que les analyses de professionnels qui connaissaient suffisamment la situation pour nous mettre en garde. Un fatalisme risible, inconsistant, faisant que certains en venaient à souhaiter que « cela arrive une nouvelle fois et que l’on n’en parle plus ».  Comme si ce défaitisme immature pouvait garantir de la mort, dissuader les assassins, et oblitérer les insuffisances de nos autorités, qui restituent des papiers d’identité à un voyou comptant se rendre en Syrie.  

J’écris, car je ne saurais me contenter de l’indigence intellectuelle et affective dont nous faisons preuve, oscillant entre exaltation et abattement, dignes des pires enfants rois, dans l'espoir que des égorgeurs aient pitié de nos craintes, et qu'un imposture politique comme le FN vole à notre secours. On lutte contre ces gens par l’intelligence, le courage d’avancer des idées étayées, universelles, inactuelles, sans crainte de prendre à parti l'impuissance criante de notre système éducatif, l'aveuglement des politiciens, nos illusions économiques et sociales, notre lâcheté, notre amour de la bêtise, les pratiques qui méprisent la femme, confinent à la lecture littérale des textes religieux, relaient des stupidités moyenâgeuses véhiculées par des prêcheurs de haine, et confortent dans un racisme doléant, dont les bornes sont la condescendance bien-pensante de gauche et l’exclusion autoritaire de droite (j’évoque des traditions politiques, non des partis).

A défaut de clairvoyance et de courage, nous avons fait preuve d’une insondable cruauté, ainsi que d’une terrible indigence humaine et intellectuelle. Une médiocrité égale, sans doute, à celle qui nous bouche les yeux sur la montée de la haine pour les valeurs de la France, en son propre sein, et à celle dont font commerce ceux qui fourguent simplismes sacrés, bouc-émissaires et bêtise intellectualisée à qui veut l'entendre. Avec un succès dont témoignent, entre autres, le nombre effarant de candidats au voyage en Syrie et le score du Front National en ce soir de premier tour des élections régionales.

Au nom de cela, les victimes et leur famille méritent les excuses de notre pays. 

Pour briller dans les soirées où il faut parler, ou bien écrire de la chanson française

Prise de conseil auprès de Jules Lemaître (1853-1914), resté dans les mémoires pour sa série de portraits intitulée Les Contemporains, laquelle renferme des études sur Huysmans, Mallarmé, Alphonse Daudet, Anatole France, les Goncourt et Zola, entre autres.
Dans le deuxième volume de ses Contemporains, ce ponte du Paris littéraire de la charogne fleurissante, s'entiche d'un ouvrage de la Comtesse Diane, femme de lettres aujourd'hui oubliée, proche de Sully-Prudhomme, premier prix Nobel de littérature, Hérédia et Loti.
En prélude d'une étude sur le génie "franchement féminin" de ladite Comtesse, Lemaître expose sept procédés utiles à qui fera voeux de rutiler dans les salons ou de trousser de la mélodie, tout en ménageant sa peine.

On distingue ainsi :

1 - La pensée "algébrique", dont la mise en oeuvre nécessite " de trouver quatre sentiments, passions, vices, vertus, qualités, défauts, etc.., dont les deux premiers soient entre eux, dans les même rapport que les deux derniers. Le schéma ordinaire est celui-ci : "... est à... , ce que... est à ..."".
Exemple : "Le shampoing est au chewing-gum, ce que l'amour est à la haine". Limpide, bien balancé. "Cela ne veut rien dire, mais on ne s'en douterait pas". 

2 - La pensée "antithétique", laquelle consiste à allier des mots de sens opposé. Assez efficace, car "il est rare que la réunion des mots exprimant des sens contraires n'ait pas l'air de signifier quelque chose" écrit Lemaître. 

Exemple : "Le pauvre est riche de ce qu'il n'a pas", ou bien "le riche est pauvre de ce qu'il a". D'usage commode, cette maxime "vous vaut un air fin et en vaut une autre".

3 - La pensée "paradoxale", qui vise à choquer le bon sens commun. Spécialité des collégiens et des lycéens en rupture de ban, employée dans une certaine littérature et la publicité  : "La morale est la pire des dépravations" ou "L'imbécilité est la plus grande conquête du genre humain." La pensée paradoxale gronde fort, comme le slogan d'une marque de lessive ou un rot.

4 - La pensée "Joubert ou Vauvenargues", variante lyrique de la saillie mondaine. Ce genre supposant une psychologie "très fine, on ne craindra pas, au besoin, d'allonger un peu la pensée, en la tarabiscotant", écrit Lemaître. Voici avec la mort : "La mort est une subtile maîtresse, qui nous conquiert un peu plus chaque jour. Apprenons à l'aimer..." L'amour est son thème de prédilection, et plus généralement tout état d'âme favorisant l'épanchement mélodramatique. C'est la pensée des amants parfaits des films à l'eau de rose, des chevaliers blancs et des poètes très maudits.

5 - La pensée "définition" légifère de l'état du monde avec un aplomb de faiseur de miracles. Elle mobilise deux notions de sens proche, et se charge d'en démêler les nuances. Voici l'exemple donné par Lemaître : "Soit : orgueuil, vanité, amour-propre, fatuité. On écrit bravement : "L'orgueil est viril, la vanité est féminine, l'amour-propre est humain". Ou bien encore : "La fatuité est la vanité de l'homme dans ses rapports avec la femme""Il y a un moindre abîme entre la modestie et l'orgueil qu'entre l'orgueil et la vanité, etc...". 
Exemple : "Il y a un moindre abîme entre le flan et la tarte tatin qu'entre la tarte tatin et la mousse au chocolat."

6 - La pensée "pittoresque", créée une image donnant corps au concept évoqué. Sa genèse fonctionne par "bonds" successifs : ""Notre imagination dépasse ordinairement ce que nous apporte la réalité", voilà certes une pensée qui n'a rien de rare. Et bien, travaillons là-dessus. Nous nous rappelons que l'imagination est "la folle du logis"; c'est une première indication. Creusons ce mot "logis" et nous ne tarderons pas à écrire : "L'imagination est une maîtresse d'auberge qui a toujours plus de chambres que de clients."  Souvent, elle n'est comprise que de celui qui la formule.

7 - Enfin, la pensée "à la Royer-Collard". Synonyme de "tautologie", "platitude" et "truisme". Elle donne : "Le feu brûle" ou encore "l'eau mouille". Escroquerie intellectuelle à assumer avec une aura de statue grecque.

Pour conclure, les “pensées et maximes” sont un genre épuisé et un genre futile

, proclame Lemaître. 

Voilà qui est dit.