Baptiste Fillon

(rien à voir avec François)

Le site de Baptiste Fillon, auteur du roman Après l'équateur, publié chez Gallimard, dans la collection Blanche.

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Notre jeunesse, Charles Péguy

Une note de lecture qui dégénère en brillant essai sur le rêve d’une politique jamais lâche, jamais vile, jamais intéressée, sinon par les buts et la noblesse qui la portent. Le dreyfusisme fut un grand soulèvement, il a bâti la valeur humaine, la dignité d’un seul être à conquérir sur l’institution. Certains y ont perdu leur vie et leur dignité pour ne récolter que l’oubli, comme Bernard Lazare.

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Ceux qui se taisent, les seuls dont la parole compte.

L’essai de Péguy est une célébration du courage, une flétrissement de la bassesse, surtout quand elle s’empare de la morale pour se faire cheffe de parti. En cela, il méprise Jaurès. Dans sa parlote brillante, sa ratiocination tenace qui ronge et fouille, Péguy pose des phrases devenues maximes, ainsi que la célébration d’une idée française de l’engagement et de l’universalisme.

Les antisémites parlent des Juifs. Je préviens que je vais dire une énormité : les antisémites ne connaissent pas les Juifs. Ils en parlent, mais ils ne les connaissent point.

Oui, cet essai peut avoir quelque chose de contemporain, d’annonciateur et de visionnaire. Notre jeunesse est surtout inactuel, sans compromis pour les chapelles d’alors, les intérêts en campagne et les jeux des machines politiques ou des convenances. Péguy l’a payé cher, rudement. Il reste l’un des nôtres, surtout pour ceux qui sont en quête de courage et de renouveau. Et ces derniers sont nombreux, fatigués de ne plus trouver de mystique et d’espoir dans la politique, cet univers où tant de médiocres occupent les places de choix. Et ils le crient en s’abstenant.

Non seulement nous fûmes des héros, mais l’affaire Dreyfus au fond ne peut s’expliquer que par ce besoin d’héroïsme qui saisit périodiquement ce peuple, cette race, par un besoin d’héroïsme qui alors nous saisit nous toute une génération.
 

Notre Jeunesse ou Péguy dans la DeLorean

S'il arrivait de 1910 dans sa DeLorean à voyager dans le temps, son livre Notre Jeunesse ferait passer Péguy pour fou, tel un sain d’esprit au milieu d’un carnaval d’aliénés.

Son combat pour l’inactuel garde toute sa légitimité, alors qu'en guise de politiques nous disposons de socialistes déconfits, à la mauvaise conscience abolie, de droitiers d’un cynisme inoffensif, chiffonnier, d'une extrême-droite érigeant la sottise nationaliste en fonds de commerce financé par la Russie, et de tout le reste, inexistant.

Une tourbe, semblable à celle que Péguy affrontait, avant la Grande Guerre, rassemblement de laïcards, cléricaux, royalistes sur le retour, et autres intellectuels autoproclamés.

Péguy ne militait que pour la justesse -dans les mots, la conduite- et la justice.

“Tout commence en mystique et finit en politique”, célèbre phrase, fataliste et d’une incroyable clairvoyance, qui résume la chute de l’idée dans le monde, toutes les formes de compromissions : « Les fondateurs viennent d’abord. Les profiteurs viennent ensuite. »

Désarroi dreyfusiste, amertume face au cirque politique produit par leur engagement de jadis, en faveur d’un officier juif inconnu, dont le sort déchira la France.

Le capitaine Dreyfus blanchi, on oublia les hommes qui se damnèrent à le défendre, au profit des ambitieux. Péguy met Jaurès au nombre des médiocres et des arrivistes, chantre de la victoire totale de la politique sur la mystique, des ambitieux sur les fondateurs.

« Le combat est contre ceux qui haïssent la grandeur même, qui haïssent également l’une et l’autre grandeurs, qui se sont faits les tenants officiels de la petitesse, de la bassesse, et de la vilénie ».

Quel gâchis. Et Péguy de vomir la médiocrité spirituelle de son siècle, le populisme de bas étage, l'antisémitisme, semblables à ceux de notre époque, cacophonie moderne ne trouvant de fin qu’en son propre vacarme, comme l’on se baigne dans son urine : "C'est en effet la première fois dans l'histoire du monde que tout un monde vit et prospère, paraît prospérer contre toute culture." 

Plus rien d'inédit dans ce constat.  

Péguy déterre le besoin de rage, la pulsion de mort d’un pays vieux d'esprit, jugeant épuisés les possibles d'une République écrasée par l’affairisme et la tartufferie, qui se libéra de lui-même en se jetant dans la guerre de 14-18 et le massacre de masse.

Sordide retour à la mystique.