Baptiste Fillon

(rien à voir avec François)

Le site de Baptiste Fillon, auteur du roman Après l'équateur, publié chez Gallimard, dans la collection Blanche.

"Le style est la personne à qui l’on s'adresse"

C’est une phrase de Lacan. Je ne connais pas très bien son oeuvre, ni le personnage. Mais à l’image d’autres de ses formules, je trouve celle-ci confondante de justesse.

A mon sens, elle répond, en partie, à une des questions les plus mystérieuses et les moins débattues de la littérature : quelle est la voix qui “parle” dans un livre ? Elle est cruciale. De nos jours, elle est ultra-simplifiée (‘Mais ce roman, c’est votre histoire ?”), quand elle n’est pas simplement éludée. Dans beaucoup d’oeuvres , le Je est le Je de l’auteur, ou du personnage principal, et la troisième personne est celle d’une omniscience qui prétend à l’objectivité. Il y a un mérite à cela : le contrat de lecture est limpide, classique, sans décalage.

L'Excision de la pierre de Folie, Jan Sanders van Hemessen

Et cette pâleur va souvent de pair avec un style qui l’est tout autant : informatif, d’aucuns diraient “journalistique”.

Un grand auteur est un style, même s’il est simple, efficace. Je pense notamment à Hemingway, Orwell, Maupassant, ou Borges. L’écrivain va fouiller les hommes et le monde. Pour mener son exploration, il doit se forger son propre outil. Et cet outil est le style. Le style n’est pas fabriqué, il vient, il découle, à force de travail et de lectures. Il est idiosyncrasique, comme une empreinte digitale. Ce style convoque un lecteur. Libre à ce dernier de se sentir ou non capable d’accompagner l’auteur.

Le style appelle aussi des personnages, des entités qui échappent au livre, se dérobent à l’existence, mais aussi au néant. Le style décrit, rend palpable, mais il sait aussi s’adresser et cerner en creux. Et par là, il révèle quelque chose qui échappe aux mots, et qui ne peut être désigné que par eux.

Madame Bovary démarre avec un “nous” décrivant le calvaire du jeune Charles Bovary, en classe. On ne le retrouve plus dans la suite du livre. Je ne pense pas qu’il s’agit d’une erreur de Flaubert. Peut-être faut-il y voir la voix de l’écrivain, par la suite enveloppée dans le livre ? Ou bien peut-être est-ce la voix d’un narrateur qui, réalisant sa faute, choisit de disparaître dans le récit ? Je n’en sais rien. Mais il désigne une cassure face au réel, que le roman approfondit, notamment grâce au style de Flaubert, à la fois assertif et questionneur, sceptique et ferme, grave et amusé. Le style parle, même quand il évoque seulement, prenant la marque de la nullité d’Emma et de son entourage, c’est-à-dire du Rien, de la Nullité.

PS : à ceux que Lacan intéresse, je conseille la série d’émissions que lui consacre France Culture.