Baptiste Fillon

(rien à voir avec François)

Le site de Baptiste Fillon, auteur du roman Après l'équateur, publié chez Gallimard, dans la collection Blanche.

Mon Brésil

Mon Brésil, tu es le plus beau des cauchemars, le plus affreux des rêves.

On te cherche sous les clichés, qu'on retrouve pourtant comme des épiphanies : la vue sur la baie de Guanabara depuis le Christ rédempteur, une promenade un dimanche matin à Copacabana ou dans la jungle de la Costa verde, une partie de foot avec un ami qu'on a pas vu depuis près de sept ans.

Mais tu existes aussi très loin des lieux communs : les numéros des vendeurs aux feux rouges qui dégainent leur terminal carte bancaire pour vendre leur camelote, les skylines de l'immense São Paulo et les villages uniquement peuplés d'une pompe à essence.

Tu es le pays de l'alliance des contraires, de l'opulence et de la misère, de la technologie de pointe et des carrioles moyenâgeuse, du rigorisme religieux et de la liberté sexuelle.  

Parfois, je voudrais te haïr, car tu es injuste, stupide et cruel. Il faut dire que tu subis aussi le poids de l'Histoire et de l'une des pires classes politiques du monde, sans oublier les évangélistes millionnaires qui braillent à la télévision en offrant l'absolution des péchés en échange d'un généreux versement Paypal.

La plupart du temps, tu en ris, dans un mélange de fatalisme et de superbe. Le rire est l'arme de l'impuissance, sinon du désespoir. Tu ris pour ne pas pleurer. Après tout, tu es le pays de la tristesse enchantée et de la "saudade", cette nostalgie pour tout ce qui ne s'est jamais produit, doux vertige. Mais cela, tu ne le confies qu'à ceux qui prennent le temps de t'écouter.

Mon Brésil, cela fait trente ans que tu me fascines. A l'époque, les gens te résumait en trois mots : misère, carnaval et football. Aux yeux de beaucoup, j'étais un peu idiot et naïf, comme tous les gosses, et cela passerait avec le temps. Mais cela ne s'est jamais tari. Aujourd'hui, les bureaucrates de la culture ont même lancé une année France-Brésil. C'est dire si tu es devenu "cool".

C'est grâce à toi que j'ai commencé à écrire et mon premier roman se déroule en partie chez toi, à Salvador da Bahia.  

Si la passion permettait de produire des lingots d'or, tu serais sans doute le pays le plus riche du monde. Même si tes élites, ton crime organisé et les affairistes du monde entier trouveraient sans doute un moyen pour siphonner ta richesse en proportions industrielles.  

Tu n'es pas un pays pour les amateurs, comme disait Tom Jobim. Je crois que tu es un pays pour les rêveurs mais pas pour les naïfs.

Mon Brésil, prends soin de toi, de tes enfants et de ta terre, car tu es précieux pour le monde entier.

Até breve. A bientôt.