Baptiste Fillon

(rien à voir avec François)

Le site de Baptiste Fillon, auteur du roman Après l'équateur, publié chez Gallimard, dans la collection Blanche.

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A l’intérieur de l'île, on a caché les villages, parmi le plafond vert et grave de châtaigniers noueux, garnis de bogues jaunes, les forêts de conifères rectilignes, là où, il y a encore soixante ans, on ne réservait le superflu qu’aux maisons de Dieu, avec leurs campaniles bouclés de rubans baroques.

C’est le pays des rivières glacées, qui s’écoulent dans une paix fraîche, entre des amas de pierre consolidés par la mousse.

Corte ressemble à la capitale d’un petit Etat montagnard, dressée à la confluence de rivières. On n’étouffe pas, comme sur la côte. La vieille ville consiste en petites bâtisses lépreuses, marquées par la mitraille des Génois. Les habitants croisent sans vous voir, se rendent sur leur jardinet en restanque, où gonflent courgettes, tomates et citrouilles.

Chaque vallée forme un pays, avec ses siroccos, ses tramontanes ; on passe de l’Irlande à la Castille en franchissant une crête, des châtaigniers aux chênes verts, puis apparaît le couvent d’Orezza, repris par la forêt. Un virage serré abrite le filet d’une source, creusant depuis des millénaires ce repli. Les sommets gaulent les nuages gris et noirs, saupoudrant une bruine qui s’évapore au premier soleil.

La Corse réveille la sensation inédite d’une beauté mélancolique et douloureuse. Un regret sordide qui rend fier. Elle est belle comme une femme craignant les appétits des soudards, lors d’une guerre maudite.

Bastia semble construite le long d’un embarcadère. La ville se répand dans la Méditerranée, qui la peuple du fantôme de Marseille, Toulon, Nice, Gênes et Livourne. Port d’étape, habité par un peuple d’errants, perdus sur les places, les rues à demie ombragées, qui parcourraient la mer, si jamais on pouvait marcher sur l’eau salée.

Chaque ville est une configuration particulière de l’éternité, dit-on.

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Je voudrais me remémorer chaque détail de Saint-Florent, avec sa cathédrale où un légionnaire romain dort comme un petit enfant, L’Île-Rousse, sa place Paoli bordée de platanes écaillés, dont les feuilles brûlées prennent la teinte du vieux métal, et sa plage qui fait un creux en pleine ville, puis Calvi,  la paix de la citadelle et la cathédrale Saint Jean-Baptiste, peinte d’un jaune vérolé, à l’intérieur blanchi comme les entrailles d'un nuage.

Il y a la route aussi, comme celle qui mène à Piana, taillée dans une roche rouge comme de la chair malaxée, qui tombe dans l’eau bleue, plusieurs dizaines de mètres plus bas.

Puis l’arrivée dans la baie de Porto, dominée par un trident rocheux, parmi les eucalyptus, de gros troncs torsadés, pelés, soutenant des frondaisons qui dispensent un fade arôme de camphre.

Les calanques de Piana sont peuplées de crânes, de restes de cathédrales, de trônes abandonnés, d’une armée de lémures, minotaures, cyclopes, diables et dragons pétrifiés dans le porphyre. On y devine des genoux, des coudes, des gueules hurlantes, des gorges, étirant le sac pourpre qui les enferme. Leur supplice compose un défilé magnifique, à ces créatures à tête de poissons, qui s’embrassent et se lacèrent.

Scandola dévoile une peau grêlée, tendue sous le soleil, parcourue de dentelles vertes, où survivent des végétaux ras. On a taillé des anses portant le nom de malheureuses étreintes, des entrelacs qui simulent des retrouvailles, dans cette roche acnéique, parmi ce paysage de fourches, de cascades et de bouillons fossilisés, crachés lorsque la terre se déchirait, se vomissait dans l’eau pour éteindre son propre feu.