Baptiste Fillon

(rien à voir avec François)

Le site de Baptiste Fillon, auteur du roman Après l'équateur, publié chez Gallimard, dans la collection Blanche.

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Les artistes ont-ils encore un rôle ?

Lors des rencontres autour de mon deuxième roman, Un coup de pied dans la poussière, on me demande très souvent si l'art et les artistes peuvent rendre le monde moins barbare. A chaque fois, je demande à lire un passage bien précis de mon livre. Le voici :

Le contexte : 1989. Première Intifada. Poète palestinien, Hussein s'adresse à Nissan, le héros du roman, peintre juif venu en Cisjordanie donner des cours de dessin aux enfants du camp de réfugiés de Jénine :

Nissan, je te connais seulement par ce que Dorit m’a dit de toi. Je te remercie d’être parmi nous. Nous avons besoin des artistes pour fouiller les sentiments qui nous soulèvent. Nous, les Palestiniens, sommes de fiers guerriers, mais aussi les jouets de promoteurs de bonne conscience, d’intérêts obscurs et cyniques, le support de haines en tous genres, le prétexte à des combats qui ne sont pas les nôtres… et des victimes. Nos parents ont découvert leur patrie en la perdant. Auparavant, leur existence, c’était la coutume, le village, le myrte, l’olivier, les troupeaux, les champs, les nuits d’été sur les toits des maisons. Je souhaite la paix pour nous et nos enfants, mais dans la décence et la justice. Or, il faut apprendre à nos enfants à souhaiter ces choses-là. Qu’il soit théâtre, littérature, peinture, musique, l’art peut exprimer notre soif de vivre, l’insoutenable nostalgie de notre terre, notre combat pour la recouvrer, avec le désir de ne pas ajouter d’injustice à l’injustice, de cruauté à la cruauté. Je veux enseigner à ces enfants l’insoutenable joie d’être au monde et ce que la paix nécessite de courage. Les artistes ne rendront pas l’humanité meilleure, mais peut-être plus consciente de la nécessité d’échapper à l’insignifiance et à la barbarie.

Je veux enseigner à ces enfants l’insoutenable joie d’être au monde et ce que la paix nécessite de courage. Les artistes ne rendront pas l’humanité meilleure, mais peut-être plus consciente de la nécessité d’échapper à l’insignifiance et à la barbarie
— Un coup de pied dans la poussière, page 251

Photo : Hosny Salah @hosnysalah, photographe vivant actuellement dans la bande de Gaza, via Pixabay.

Saint-Jean d'Acre

Saint-Jean d'Acre reste le souvenir d’une calme ville provinciale, occupée en son centre par les allées couvertes d’un marché arabe qui meurt l'après-midi.

Dans les souterrains des Croisés, on imagine les fuites fiévreuses, lors des invasions, le dénouement des sièges, et les banquets de gardes, dans les colossaux réfectoires voutés, les transes violentes dans des chapelles sans lumière, murées de pierre jaune. Quelque chose de solennel et de triste demeure, dans la halle du marché en ruines, au milieu duquel trône une chaise vide, protégée par un vendeur d’oranges; une forêt naissante s'élève entre les pavés disjoints, cuits par le soleil de mai. 

Quand on s’enfonce dans la ville ancienne, suivant les ruelles médiévales, on débouche sur une place où roule la brise maritime, tenant du parking et du bout du monde, où l’on prend un café à la cardamome, noir et brûlant, parfumé comme un gâteau. On se trouve sur les remparts, au-dessus de la mer bleue sombre, d’un contraste violent avec l’écume blanche.

Il faut poursuivre sur les remparts, en bord de cette eau qui déversa tous les pirates et toutes les armées, jusqu’à une petite plate-forme, où l’on s'assoit au ras des vagues.

En fin de journée, dépassant les murailles, on s’engage dans une ville plate, moderne, sans charme. On marche longtemps, avant d’obliquer à droite, à travers les HLM, flanqués de petites vérandas aux fenêtres troubles et de boîtiers de climatisation qui gouttent. Au bout de cette rue, se trouve la station du train de banlieue ramenant vers Haïfa, rapidement visible grâce aux immenses silos à grains du port, après la côte où s'étale une zone industrielle.