Baptiste Fillon

(rien à voir avec François)

Le site de Baptiste Fillon, auteur du roman Après l'équateur, publié chez Gallimard, dans la collection Blanche.

De Grâce, souvenir de repérage

Je viens de retrouver cette photo, qui doit dater de 2017. Avec Maxime Crupaux, co-créateur de la série, nous étions montés à bord d’une abeille pour voir le port depuis la mer et avec les gens qui y travaillent. Ce jour-là, le remorqueur faisait entrer dans le port un pétrolier d’Europe de l’est, si mes souvenirs sont bons.

Olive Kitteridge, Jane Anderson

Une femme qu'on dirait incapable d'aimer et qui en meurt d'envie, un mari falot, qui s'accroche à elle, tentant de fleurir leur quotidien et un fils sans envergure, à qui elle ne sait pas donner d'affection. C'est la chronique à ras de terre d'un petit port de pêche de la Nouvelle Angleterre, l'une des meilleures séries que j'ai jamais vues, adaptation d'un roman du même titre. Quatre épisodes de 52 minutes empreints de la tension sourde de l'existence : amour, tentations, tromperies, accablements et épiphanies... Le bercement et l’oscillation de vie, avec ses aigreurs, chagrins et ses choix non pris, et toujours la possibilité du bonheur.

Frances Mc Dormaid et Richard Jenkins sont incroyables, Bill Murray fait du Bill Murray au dernier épisode. La série est d'une grande efficacité, d'une maîtrise qui ménage les vides et les pleins sans jamais perdre la tension. D'un point de vue scénaristique, c'est aussi le parti-pris courageux d'assumer la chronique et de faire confiance aux trois choses qui font une grande fiction : les personnages, les personnages et les personnages.

Le sabbat des sorcières, Ginzburg

Le sabbat des sorcières de Carlo Ginzburg est une immersion dans les traditions chamaniques et sacrées de notre civilisation, influencées par les Celtes, les Lapons, les peuples des steppes d’Asie centrale, les Grecs, et j’en passe. Ginzburg est un historien dont j’apprécie beaucoup le travail, notamment son ouvrage Les batailles nocturnes.

El aquelarre, Goya, 1797-98, Musée Lázaro Galdiano, Madrid.

Étudiant la sorcellerie et les superstitions, il ravive les existences minuscules d’hommes et de femmes censés ne pas avoir d’histoire. Des petites gens attachés aux transes, à la divination et aux périples mystiques, dont les obsessions sur la mort et le futur restent les nôtres. En lisant Ginzburg, je crois secrètement rechercher une réponse à la question honteuse et archaïque de savoir si la magie existe ou pas. Je cherche encore. L’interrogation est tenace.

La recherche reproduit, sur une petite échelle et sous une forme simplifiée, à la manière d’une expérimentation, une expérience qui est celle de tout un chacun : celle de pénétrer dans un monde que nous n’avons pas choisi, qui nous est pour l’essentiel inconnu, et dans lequel agir, signifie aussi (je ne dis pas surtout) être agi.
— page 420

Une armure sur mon mur

J’ai découvert les armures de Negroli voici quelques années, au musée des Invalides. Ce sont essentiellement des pièces d’apparat en métal repoussé et ouvragé, comme s’il s’agissait de pâte à papier ou de bois tendre. Je les trouve si fascinantes que j’ai accroché la photo d’une bourguignotte à l’antique réalisée pour François Ier au-dessus de mon bureau. Dans les instants difficiles, elle me rappelle qu’on peut toujours se battre avec élégance et beauté, surtout quand on se bat pour elles. Le chemin important autant que le but, les moyens autant que la fin.

Bourguignotte à l’antique réalisée pour François Ier, attribuée à Filippo Negroli (1510-1579). Milan, après 1545. Fer ciselé, argent, or. Paris, Musée de l’Armée. © Musée de l’Armée. Dist. RMN - Grand Palais/Sebastian Straessle.

La vie fragile, Arlette Farge

Je sors d’une période où il m’a été très difficile de trouver des ouvrages de fiction intéressants. Je me suis rabattu sur des récits et des livres d’histoire, notamment celui d’Arlette Farge. C’est taillé dans une écriture leste, tendre et attentive, amoureuse du Paris du XVIIIème siècle et de ses gens. A l’époque, le dedans et le dehors n’existent pas, la rue rentre chez vous et vous faites la rue, celle qui ébranle le roi ou le célèbre comme Dieu sur terre.

La Seine en aval du Pont-Neuf, à Paris. J.B. Raguenet (1715-1793) © Photo RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Hervé Lewandowski

Arlette Farge prend le point de vue des gens de tous les jours, dans leur capacité à regarder, comprendre et aimer. La multitude n’est plus un amas de gueuserie, elle a un coeur, pleure, jouit et rêve. Stratégie matrimoniale, escrocs à la manque, petit commerçants, artisans, policiers voleurs d’enfants, ouvriers frondeurs, prostituées, ravaudeuses… le petit peuple perdu du Paris de l’Ancien Régime revient à la vie, dans un monde oublié, où l’injustice est constitutive de l’ordre social, acceptée voire plébiscitée même dans ce qu’elle a de plus arbitraire. Nous ne sommes pas là dans l’ouvrage à thèse ni militant. Le livre d’Arlette Farge fait bien mieux que mener un combat. Il démontre par le fait qu’exprimer le réel, dans ce qu’il a de plus factuel mais aussi de plus rose et sentimental, c’est ramener à la vie l’âme et la dignité des oubliés.

De ces tableaux se dégagent de la précarité et de la force, la volonté de ne jamais se laisser abuser ou démunir. Dans Paris, tout vit, bouge et meurt sans répit sous les yeux de chacun, dans un espace ouvert où le voisin, qu’il soit ami ou ennemi, est le perpétuel témoin de soi-même.
— La vie fragile, Arlette Farge

Le destin de Mr Crump, Ludwig Lewisohn

Le destin de Mr Crump est un roman qui a fait scandale à la fin des années 1920, pour outrage aux bonnes moeurs, comme L'amant de Lady Shatterley . Encensé par Freud, préfacé par Mann, c'est un chef-d'oeuvre sous-estimé, dont certains passages sont virtuoses. Quand le livre de DH Lawrence est devenu un grand classique qui permet de sourire de la pudibonderie de la société de l'époque, celui de Lewisohn garde quelque chose d'incandescent.

Il ne dépeint pas seulement l'enfer du mariage mais aussi le désir méthodiquement disposé de la destruction de l'autre dans le cadre de la vie quotidienne, installée et adoubée par la loi. Jamais je n'ai lu d'ouvrage aussi beau et lucide sur l'emprise et la toxicité.

La tête de Herbert retomba sur sa poitrine, son sang bourdonna dans ses oreilles. Autrefois, à New York, elle avait paru humaine. Ne pouvait-il faire appel à ses sentiments, à sa raison ?
— page 177

Clinique, il fouille la rage existentielle et morbide d'Anne, une femme détruite par la vie, voulant faire payer son propre malheur à Herbert, son jeune mari, musicien talentueux, tendre naïf qui tâche de s'accomplir et de s'émanciper. Le destin de Mr Crump questionne le mystère de cette colère indéracinable, qui mène la pulsion de destruction la plus crue à prendre les autours de la séduction et le désir inconscient de s'y laisser prendre chez sa proie, laquelle passe très vite du statut de sauveur à celui de bourreau, harassée par la victimisation inlassable de son épouse, laquelle justifie l’injustifiable par un sentimentalisme de bazar. Nous connaissons tous un Herbert ou une Anne. L’humanité face à la sociopathie. Peut-être avons-nous même été l'un d'eux.

De Grâce, premier jour de tournage

C’était la première fois que j’assistais au tournage d’une fiction que j’avais écrite (avec Maxime Crupaux pour l’ensemble des épisodes, ainsi que Malysone Bovorasmy et Sylvie Chanteux, pour les épisodes 3 et 4). Le premier jour d’un tournage est le moment où s’incarne de façon la plus nette le caractère quasi magique de l’écriture. Comme si un écrivain voyait soudain s’animer ce qu’il avait posé sur le papier. Le texte lance le mouvement de savoir-faire, d’histoires et de talents qui se rassemblent et se nouent pour incarner les péripéties que vous avez imaginées, conçues, formalisées, avec leur rythme, leur respiration et leur gouaille. Le texte prend une gueule et des voix. C’est aussi la petite mort d’un fantasme qui a mûri pendant plusieurs années. Car il va exister. C’est émouvant, déroutant, mais aussi angoissant : ça va avancer, ça va se faire, il n’y aura plus moyen d’y couper. Enfin et surtout, c’est un immense bonheur, une grande fierté. De grâce, c’est la série de ma ville. En littérature comme en scénario, j’écris par et pour un endroit, en m’affranchissant du naturalisme quand je l’estime nécessaire. Un supermarché, une mégapole, une forêt tropicale ou une piscine, peu importe… chaque lieu contient de quoi mettre en branle des personnages, de grandes histoires, pour qu’on prenne le temps d’explorer ces endroits et de se documenter. Même si c’est pour ensuite s’affranchir de ce matériau.

Mon dernier soupir, Buñuel

Après avoir vu Viridiana, songeant à combler mes immenses lacunes dans le domaine du cinéma, je me suis lancé dans la lecture de l’autobiographie de Buñuel, consignée par Carrière, intitulée Mon dernier soupir.

Comme dans son film, j’ai retrouvé la même lucidité sévère, sur le Bien comme le Mal, et une espèce de bonhommie dure, qui chasse l’ingrat, le malveillant, et embrasse de tout son coeur celui ou celle qu’elle aime. Buñuel est tendre, curieux et honnête dans ses sidérations face à Dieu, ses appétits d’amour et ses terreurs morbides.

Un artiste, ça recrée la réalité à partir ce qui en semble le plus éloigné : les rêves, les autres oeuvres de l’esprit et l’espoir délirant de contenir le monde en soi. Et cela échappe à toute morale, toute doctrine.

Il me semble en réalité qu’il n’était pas nécessaire que ce monde existe, pas nécessaire que nous soyons ici en train de vivre et de mourir.
— Luis Buñuel

Le sillon ou l'erreur par habitude

Je termine la lecture de Guerriers et paysans de Georges Duby. Une histoire des mutations économiques entre les VIIe et XIIe siècle, qui ont vu la fin de l’esclavage en Europe, l’instauration du féodalisme et la montée en puissance de l’Église, entre autres. C’est un ouvrage d’une clarté dense, sur un des âges les plus méconnus de notre histoire, surtout le très haut Moyen-âge. Duby n’échappe pas à la tentation hégéliennes des historiens, lesquels outrepassent leurs tâches et s’aventurent dans la métaphysique ou la philosophie. Un travers que je trouve savoureux, tout comme la digression, et dont Michelet est peut-être le plus célèbre spécimen.

Il ne faut pas croire qu’une société humaine se nourrisse de ce que la terre où elle est implantée serait la plus apte à produire ; elle est prisonnière d’habitudes qui se transmettent de génération en génération et qui se laissent difficilement modifier.

La tragédie des habitudes, des chemins pris par l’histoire et dont nous sommes prisonniers. De quoi gâcher une vie, condamner l’humanité à sa perte. Enjeu et prodige : savoir conserver un oeil sur les routes non empruntés, les possibles vierges. Quels périls encourons-nous à tenter de les rallier ?

Notre jeunesse, Charles Péguy

Une note de lecture qui dégénère en brillant essai sur le rêve d’une politique jamais lâche, jamais vile, jamais intéressée, sinon par les buts et la noblesse qui la portent. Le dreyfusisme fut un grand soulèvement, il a bâti la valeur humaine, la dignité d’un seul être à conquérir sur l’institution. Certains y ont perdu leur vie et leur dignité pour ne récolter que l’oubli, comme Bernard Lazare.

Photo credit: josefnovak33 on VisualHunt

Ceux qui se taisent, les seuls dont la parole compte.

L’essai de Péguy est une célébration du courage, une flétrissement de la bassesse, surtout quand elle s’empare de la morale pour se faire cheffe de parti. En cela, il méprise Jaurès. Dans sa parlote brillante, sa ratiocination tenace qui ronge et fouille, Péguy pose des phrases devenues maximes, ainsi que la célébration d’une idée française de l’engagement et de l’universalisme.

Les antisémites parlent des Juifs. Je préviens que je vais dire une énormité : les antisémites ne connaissent pas les Juifs. Ils en parlent, mais ils ne les connaissent point.

Oui, cet essai peut avoir quelque chose de contemporain, d’annonciateur et de visionnaire. Notre jeunesse est surtout inactuel, sans compromis pour les chapelles d’alors, les intérêts en campagne et les jeux des machines politiques ou des convenances. Péguy l’a payé cher, rudement. Il reste l’un des nôtres, surtout pour ceux qui sont en quête de courage et de renouveau. Et ces derniers sont nombreux, fatigués de ne plus trouver de mystique et d’espoir dans la politique, cet univers où tant de médiocres occupent les places de choix. Et ils le crient en s’abstenant.

Non seulement nous fûmes des héros, mais l’affaire Dreyfus au fond ne peut s’expliquer que par ce besoin d’héroïsme qui saisit périodiquement ce peuple, cette race, par un besoin d’héroïsme qui alors nous saisit nous toute une génération.

Beowulf

Lisant Beowulf, je songe à Borges et ses douteuses admirations littéraires, dignes d’un grand enfant (hormis celle qu’il voue à Conrad, mais cela n’engage que moi). Parfois, je m’amuse à lire les vers en saxon, incompréhensibles. Mais la paronymie joue son rôle, porte le souffle et la mémoire du réciteur. L’hémistiche soutient l’ensemble, déploie la scansion et l’attente toujours trompée par l’écrasement des sons. Dans cette aventure d’un héros parmi les monstres, où Dieu apparaît comme un intrus arrivé là sur le tard, on sent quelque chose du conte primordiale, dans sa plasticité rustique et l’élaboration ultra ornée de certaines métaphores, semblables à celles des scaldes.

Ramasse-vioques, Juan Carlos Onetti

L’installation d’un bordel dans une petite ville de province. Un homme sans envie qui ramasse de vieilles peaux pour en faire des belles de nuit sur le retour. Il n’y a rien de très grand ni de sublime, mais c’est un roman magnifique, sur le vide métaphysique, la beauté de ses apories et des tortures qui y mènent. Et puis il y a la langue d’Onetti, clinique et lyrique, aussi dépouillée, labile et construite qu’un latin de scholiaste qui aurait fait le tour de la planète de Dieu pour se dire : “Ce n’est que ça ?”.

Nos visages ont un secret, quoiqu’il ne soit pas toujours celui que nous tâchons de cacher

Levinas et le visage

La philosophie du visage, en un temps où on le voit si peu. Et l’éthique, en une époque où on voudrait la faire passer pour un tic de la pensée.

Il y a dans l’apparition du visage un commandement, comme si un maître me parlait.
— Emmanuel Levinas
Je pense, quant à moi, que la relation à l’Infini n’est pas un savoir, mais un Désir.
— Emmanuel Levinas
Le Désir est comme une pensée qui pense plus qu’elle ne pense, ou plus que ce qu’elle pense.
— Emmanuel Levinas

Les Géorgiques, Claude Simon

Un seul être, ou deux, ou trois, protéiforme et unique, comme la douleur, la peur, la guerre et le froid. C’est la bande ininterrompue du temps, torsadée au point d’y voir l’advenu et le futur se toucher. Nul ne sait de quoi il en retourne. On ne connaît que l’intensité tonitruante de sentiments profonds, d’impressions térébrantes. Et que cela fait office d’éternel au genre humain.

Le siècle des Lumières, Alejo Carpentier

Un passage de l'histoire des indiens Caraïbes. Baroque et cosmique.

L’action de cet ouvrage de Carpentier se tient à la fin du XVIIIème siècle. Il est la preuve que le roman historique n’existe pas. Tout comme le soi-disant roman régionaliste. Il n’y a que le récit qui vaille, frayant dans l’inactuel.

Fond et forme, leçon de l'Inde ancienne

Lu dans l'introduction de l’Histoire des dix princes, rédigée par Marie-Claude Porcher également traductrice de ce récit de l'Inde médiévale écrit par Dandin.

Nabokov, au sujet de Lolita

Non, la littérature n’est pas un reportage, ni un livre de choses, ou encore un manuel de morale ou d’éthique.